Les bestiaires du jeu vidéo

Les animaux et créatures zoomorphes sont partout dans les jeux vidéo. Qu’ils soient facilitateurs de nos émotions ou adversaires implacables, réalistes ou imaginaires, qu’on les soigne ou qu’on les chasse, ils peuplent les mondes des jeux et questionnent parfois notre rapport à la faune et la nature. Partez à leur découverte grâce à Press Start, le festival de jeux vidéo de la Bpi.

Alpaca Ball : allstars, jeu de football avec des lamas (©Salt Castle Studio, 2020)

Alpaca Ball : allstars, jeu de football avec des lamas
(©Salt Castle Studio, 2020)

Bestiaire(s) ludique(s)

Les jeux vidéo regorgent évidemment d’animaux issus de la faune réelle, y compris éteinte ou préhistorique, au réalisme au moins graphique à défaut d’être comportemental : le jeu de survie ARK : Survival Evolved, par exemple, met en scène des dinosaures… qu’on peut chevaucher !

Mais l’arbre des espèces vidéoludiques étend ses ramifications bien au-delà puisque les jeux vidéo convient également une foisonnante faune imaginaire : créatures de papier (Paper Beast), mécaniques (Horizon Zero Dawn), aquatiques (Subnautica) ou fantastiques à l’image de la licence The Witcher et son impressionnant bestiaire inspiré de la littérature.

À l’image des premiers zoologistes, certains jeux proposent même au joueur de répertorier leur faune dans des sortes d’encyclopédies numériques (Zelda : Breath of the Wild, Robinson : the journey ou encore Animal Crossing).

The Journey

Robot assistant scannant une espèce inconnue dans Robinson : the journey (©Crytek, 2016, jeu en réalité virtuelle)

Red Dead Redemption

Un élan dans Red Dead Redemption 2 (©Rockstar Games, 2018)

The Witcher artwork

Artwork de Geralt et Ablette dans The Witcher 3 : Wild Hunt (@Projekt Red, 2015)

Des animaux pour quoi faire ?

Réalistes ou imaginaires, éteints ou futuristes, les animaux occupent toutes sortes de fonctions (parfois complémentaires) dans les jeux :

  • les animaux « décor » : on les trouve notamment dans les mondes ouverts qu’ils contribuent à rendre plus riches et vivants. Le monde de Red Dead Redemption 2, par exemple, intègre près de 200 espèces différentes : des loups aux cerfs en passant par les rapaces, les alligators, les poissons ou, évidemment, les chevaux.
  • les animaux « outils » : ils s’intègrent pleinement au gameplay, qu’ils soient utilisés comme moyens de transport, sources de matières premières, ou encore armes que le joueur peut mobiliser.
  • les animaux « compagnons » : soutiens du héros, ils sont intégrés dans le schéma narratif du jeu. Les exemples abondent : d’Ablette, jument de Geralt de Riv dans The Witcher 3, à Palico dans Monster Hunter World.

Un animal pour héros

La place des animaux peut être plus centrale encore et ils sont même souvent appelés à devenir, eux aussi, des héros. Bien que l’imaginaire collectif tende à associer zoomorphisme et public jeunesse, les amateurs et amatrices de jeux savent qu’il n’en est rien et que nombreux sont les adultes à s’amuser dans la peau du gorille Donkey Kong, de la louve d’Okami ou du mythique Crash de la trilogie Crash Bandicoot… ou à s’attacher à des personnages aussi décisifs que Pikachu dans Pokémon ou Epona dans Zelda.

Cette mobilisation des animaux soulève des questions passionnantes de psychologie des jeux et invite les créateurs à susciter de véritables relations entre joueurs et animaux virtuels. Si l’anthropomorphisation est très utilisée, elle n’est pas le seul levier d’identification ou d’empathie : le fait de pouvoir nommer les animaux, d’en apprendre plus sur eux ou d’avoir la possibilité d’interactions « gratuites » (sans utilité dans le jeu) avec eux sont autant de façons de créer un lien virtuel proche de celui qui peut exister dans la vie. Certains jeux font même le choix de sanctionner le joueur s’il se montre trop cruel envers les animaux (comme les cocottes de Zelda, Breath of the Wild).

Artwork d’Evoli et Pikachu, partenaires des personnages dans Pokémon : Let’s go Pikachu et Pokémon : Let’s go Evoli

Artwork d’Evoli et Pikachu, partenaires des personnages dans Pokémon : Let’s go Pikachu et Pokémon : Let’s go Evoli (@Nintendo, 2018)

Les animaux : stars des “wholesome games”

Le rapport instinctivement affectif que l’homme entretient à l’animal offre une possibilité puissante de pacification des jeux et il n’est ainsi pas étonnant de retrouver des animaux dans de nombreux wholesome games (en français, « jeux bienveillants »). Quelle que soit son incarnation ou sa fonction, la seule présence de cette faune pacifique est à même de créer un environnement apaisant, voire rassurant pour le joueur.

Incarner un animal peut aussi être une façon de rééquilibrer virtuellement le rapport de force entre humanité et monde animal : dans Untitled Goose Game, par exemple, le joueur incarne une oie dont la mission est de persécuter (gentiment) les habitants d’une petite ville, sans aucune sanction plus grave qu’un éventuel retour à la case départ. Se pourrait-il que les joueurs trouvent une forme d’apaisement dans l’exécution des missions vengeresses drolatiques de cette oie précisément parce qu’au fond d’eux, ils savent que ces humains les ont bien méritées ?

Untitled Goose Game

Untitled Goose Game (© House House, 2019)

Animal Crossing New Horizon

Animal Crossing New Horizon (@Nintendo, 2020)

Quand les animaux inspirent le jeu

Au-delà de leur représentation virtuelle, les animaux, leurs comportements, le rapport que l’humanité entretient avec eux représentent une source d’inspiration pour les créateurs qui en empruntent les ressorts dans de nombreux types de jeux :

  • La simulation de vie animale : Jouer à être et avoir, être un animal et en même temps avoir la possession d’un animal, c’est ce qui fait vibrer les joueurs depuis les Tamagotchi jusqu’aux jeux vétérinaires et autres Little friends d’aujourd’hui.
  • Les jeux de gestion : En apportant la part fascinante de la vie animale, l’élevage offre une dimension supplémentaire aux jeux de gestion. Ainsi, le jeu Don’t starve : jeu de survie dans un monde où votre avatar, dépourvu de tout, doit faire face aux éléments (nuit/jour, saisons) et essayer de gérer son environnement en cueillant puis cultivant, et en chassant puis élevant.
  • Les combats d’animaux : De l’emblématique Pokémon aux animaux hybrides issus de l’imaginaire japonais au surprenant et post-apocalyptique Tokyo jungle, où des chihuahuas sont amenés à affronter des hyènes… C’est reprendre au fond le principe du versus fighting avec des bestioles plus ou moins mignonnes.
  • Les safaris : Que l’on veuille collectionner leur photo ou garder un trophée, l’animal est traqué, surpris et attrapé (Pokémon) ou chassé (Hunting simulator).
Pokemon Snap

Prise de vue dans New Pokemon Snap (@Nintendo, 2021)

Le jeu vidéo, miroir du rapport de l’homme à la nature

Dordogne

Dordogne (©Un je ne sais quoi, 2018) 

Comme tout produit de culture, les jeux vidéo se nourrissent des présupposés philosophiques des communautés humaines qui les produisent. Ainsi, les mécaniques de jeu, les représentations graphiques, la place même accordée aux animaux et plus largement au naturel se révèlent un miroir éloquent des relations et du regard que l’homme porte sur la nature, tour à tour source de contemplation, force hostile qui souligne sa vulnérabilité, simple décor ou au contraire théâtre primordial de l’expérience humaine.

Dans Far Cry Primal, par exemple, la nature n’est pas un simple décor : elle est le fondement même de la dynamique de jeu où le joueur, incarnant un des premiers hommes, doit lutter pour sa survie. À l’opposé, le jeu Dordogne brosse presque littéralement le tableau d’une nature propice à l’introspection, replaçant ainsi l’expérience sensible quasi philosophique de la contemplation au cœur du jeu.

Vers une mutation du rapport à la nature

Alors que l’homme prend conscience de son impact sur l’environnement, la philosophie du rapport à la nature tend à évoluer. À une vision de la nature comme simple ressource ou environnement hostile devant être dominé succèdent des approches fondées sur des notions de responsabilité et de dépendance réciproque. Le jeu Seeds of Resilience en offre un exemple prégnant : l’exploitation raisonnée des ressources disponibles selon les saisons et la météo est rendue si subtile que le joueur finit très souvent victime de sa mauvaise gestion et voit sa colonie périr.

Le jeu vidéo, par les possibilités de simulation qu’il offre, peut également se muer en plaidoyer expérimental : c’est ce que tente de faire le jeu « d’agroécologie » Roots of Tomorrow pour le développement durable. Mais il n’est pas obligatoire de passer par la simulation réaliste pour questionner le rapport de l’homme à la nature : le jeu Paper Beast le fait parfaitement dans son univers onirico-numérique où l’objectif est de collaborer, d’interagir et d’aider des animaux en manipulant l’environnement à bon escient.

Paper Beast

Paper Beast (©Pixel Reef, 2020)